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Le lupin : Trésor protéinique condamné.


Une vieille connaissance.

Dans l’Europe du Moyen âge, les lupins blancs, jaunes et pileux étaient toujours cultivés pour l’alimentation et comme engrais vert. Cette tradition survit encore en Italie, au Portugal et en Afrique du Nord où les graines de lupin blanc sont toujours consommées en apéritif. Et pourquoi en apéritif ? Parce qu’ils se sont aperçu que c’est le remède-roi contre le diabète (type 2) – En particulier, les nord africains peuvent ainsi user et abuser de leurs loukoums et de leurs beignets.
A noter que les mauriciens (qui sont atteints à 70% par le diabète en raison de leur mode d’alimentation) feraient bien d’en prendre note….. En France, grâce à « l’invasion » musulmane, on trouve des haricots de lupin sous emballage plastic prêts à consommer dans les boutiques orientales, Liddle et dans de nombreux supermarchés. J’ai fait essayer cet apéritif spécial à divers diabétiques non insulino-dépendants, leur prise de sang est rentrée dans l’ordre en une quinzaine de jours.

Au début du XIX siècle, les éleveurs de mouton allemands commencèrent à l’utiliser sur les terres sableuses de la baltique. Mais, vers 1870, cette culture fut stoppée en raison des fameux alcaloïdes amers qui provoquaient des accidents parmi les animaux. Ils ne savaient pas que les anciens les cuisaient dans l’eau et les rinçaient ensuite à l’eau tiède afin d’éliminer l’amertume : l’eau de rinçage servait ensuite comme insecticide naturel. Le lupinius est cité dans des textes romains, remontant à trois siècles avant Jésus Christ en tant qu’aliment pour la consommation humaine. Par ailleurs, les Egyptiens et les Incas, depuis longtemps, ont eu coutume de tremper dans les rivières leurs sacs de graines de lupin bouillies avant de les consommer ou les donner aux animaux.

Il n’en reste pas moins que le lupin est une merveilleuse  légumineuse aux multiples espèces (plus de 450) dont certaines sont plus riches en protéines que le soja (45% contre 35%). De plus, cette plante régénère les sols pauvres par sa grande faculté de synthétiser l’azote de l’air.

Les tribulations de l’affaire lupin.

Le lupin tomba dans l’oubli en Europe jusqu’à la crise de 1929. Pour s’affranchir de leur dépendance vis à vis des tourteaux importés (déjà à l’époque !), les Allemands firent des recherches sur les plantes riches en protéines. Le soja et la luzerne ne donnaient pas de résultats suffisamment performants, et le lupin fut sélectionné pour son meilleur rendement, à condition toutefois, d’obtenir des variétés pauvres en alcaloïdes. Ainsi, le professeur Sengush de l’institut Kaiser Wilhem de Muncheberg réussit à obtenir 7 lupins peu amers, dont la culture se développa rapidement. Sept ans plus tard, en 1938, 78 000 ha furent ensemencés. Puis, vint la guerre, et le lupin, comme les autres légumineuses, déclina en Europe occidentale, mais pas en Europe de l’Est qui poursuivit cette culture en Hongrie, en Pologne et en URSS.

Après 1945, les États-Unis jouant de leur force économique et militaire en Europe, imposèrent à notre agriculture un modèle d’alimentation animale basé sur des cultures de climat chaud dont ils avaient le monopole commercial et qui ne sont pratiquement pas exploitées en Europe. Aussi, les États-Unis laissèrent-ils l’Europe se couvrir de maïs, mais interdirent les protéagineux pouvant concurrencer le soja. Toute volonté de sortir de cette dépendance a aussitôt fait depuis l’objet de rappels à l’ordre musclés.

Philippe Desbrosses relançait le lupin il y a 30 ans.

Jeune agriculteur possédant une ferme expérimentale, Philippe Desbrosses était à l’époque, l’un des leaders du CINAB (Comité interprofessionnel de l’Agriculture Biologique). Un jour, en feuilletant un vieux numéro de la revue Rustica, il découvrit « la plante d’or des sables » ainsi nommé le lupin. Séduit par les qualités énergétiques de la plante, il se mit à la recherche de graines. Mais, l’importation du lupin était interdite en France. La quête dura de longs mois, et finit par aboutir grâce à un industriel qui ramena illégalement des graines de la RFA en France.

Sur la terre de Sologne, traditionnellement pauvre et acide, Philippe Desbrosses choisit la parcelle la plus désolée de ses 53 ha et sema ses graines. Quelques mois plus tard, la parcelle était couverte de magnifiques pousses de 1.20m et la récolte s’effectua dans l’euphorie. Le seul problème, c’était que le lupin semé avait été du lupin jaune amer qui contient de la lupuline, alcaloïde plus ou moins toxique pour les consommateurs, qu’ils soient bipèdes ou quadrupèdes.

Mais, qu’importe, les tonnes de matière verte constituèrent un engrais exceptionnel et plus tard Philippe Desbrosses finit par trouver des graines de lupin jaune doux exempt d’alcaloïdes. Avec le lupin jaune doux, on peut obtenir 22 quintaux à l’hectare de rendement, ce qui a fait rigoler les céréaliers de la Beauce avec leurs 80 ou 100 quintaux à l’hectare. Ceci ne découragea pas Philippe Desbrosses puisqu’il fit du lupin son sujet de thèse de doctorat es sciences en 1987 à l’université de Paris VII, et que depuis 1975 il ne cesse de cultiver cette plante.

Un procédé de désamérisation.

Le dilemme qui s’est posé a été quel lupin exploiter : des lupins doux non toxiques mais d’un rendement modeste et peu résistant aux parasites, ou des lupins amers d’un bon rendement, résistant aux parasites mais toxiques à la longue, et d’un goût rebutant. Une équipe italo-suisse-allemande a résolu le problème en mettant au point un procédé d’extraction à froid des substances amères qui s’avère très efficace et peu coûteux, nommé “procédé Mittex”.

De plus, les substances amères recueillies s’avèrent posséder de très bonnes propriétés fertilisantes et phytosanitaires permettant de promettre des augmentations de rendement de 20 à 30 % sur diverses cultures telles les tomates, pommes de terre ou autres. Cette découverte technique laissait entrevoir de multiples avantages à la culture du lupin :

  • mise en valeur des sols acides
  • coût de revient peu élevé de la culture
  • peu d’engrais
  • résistance aux parasites
  • gros enrichissement su sol en azote
  • production de protéines en proportion supérieure au soja
  • production d’une huile d’excellente qualité
  • obtention d’un fertilisant protecteur naturel et économique : le lupinex.

 

Il est à noter qu’un brevet permettant de neutraliser les alcaloïdes du lupin amer et le rendant ainsi comestible aux animaux, avait déjà été déposé en 1930 par des Japonais. Racheté immédiatement par les Américains, il avait ensuite mystérieusement disparu…. écartant ainsi le lupin du marché concurrentiel du soja.

Voyage d’étude en Hongrie.

Suite à la hausse des prix du soja imposée par les Américains en 1983, un vent de panique s’installa chez les éleveurs français littéralement tenus en otage pour l’alimentation de leur bétail. Aussi, Philippe Desbrosses organisa, avec une quarantaine de producteurs et la présence de FR3, un voyage en Hongrie, parcourant plus de 1500km dans ce pays, royaume du lupin. Munie d’un siècle d’expérience sur les sols sableux acides et peu fertiles, la Hongrie était passée maître en la matière pour la culture du lupin. Néanmoins, le décollage rapide dans l’élevage du porc et de la volaille avait contraint le pays à importer du soja, son lupin ne suffisant plus.

C’est ainsi que ce pays 5 fois plus petit que la France, grâce à de nouvelles variétés et une volonté politique, mit en place un plan d’expansion du lupin sur 300 000 ha. Des modules d’exploitation par rotation de complémentarité lupin-pomme de terre-céréales, etc…a montré, à l’époque, à l’équipe française le bien-fondé de la méthode pour les rendements obtenus; par exemple, 80 quintaux à l’hectare avec un maïs n’ayant reçu que des quantités minimes d’engrais et de produits phytosanitaires.

Par ailleurs, les Hongrois montrèrent comment ils substituaient avec bonheur le lupin au soja dans les aliments du bétail dans une proportion allant de 25 à 60% des rations alimentaires.

Lupin contre soja : un blocus politique.

Lorsque l’on réalise que le lupin, non seulement, pourrait diminuer nos importations de protéagineux, barrant la route au soja américain dans l’alimentation du bétail en particulier, compliquée par la nouvelle guerre des OGM, mais pourrait aussi diminuer notablement notre consommation agricole en engrais chimiques et en produits phytosanitaires, on comprend aisément les barrages mis en place depuis 30 ans face à cette opportunité. Les puissants lobbies internationaux au nom du libre-échange commercial INTERDISENT…et tiennent nos politiques sous leur joug.

Plus récemment, le créneau des biotechnologies voit d’un très mauvais œil “l’affaire lupin”. Il y a 30 ans, l’Europe dépendait encore à 80% des marchés extérieurs pour ses approvisionnements en protéines. Aussi, un fonctionnaire de Bruxelles ironisait en déclarant : “l’autonomie de la France en soja est de 12 jours”. Il faut savoir que le lobby soja est suffisamment implanté à Bruxelles pour être en mesure de freiner, voire bloquer les dossiers protéines et décourager les utilisateurs du lupin. Anecdote : Ce même lobby avait fait circuler en 1984 une rumeur dans les campagnes laissant croire que 9 truies avaient péri empoisonnées par du lupin. Lorsque l’information a été démentie, elle avait déjà trouvé écho auprès de nombreux fermiers et court encore.

Un atout pour l’indépendance alimentaire.

Le lupin, médaille d’or olympique, pour capter l’azote de l’air et le synthétiser dans le sol, représente un espoir sérieux pour les pays pauvres, permettant de valoriser des sols acides où pratiquement rien ne pousse. Face aux apprentis-sorciers des OGM, qui promettent des solutions mirobolantes contre la faim dans le monde, alors qu’en Inde, des paysans qui ont écouté “le chant des sirènes” sont ruinés, se suicident ou vendent un de leur rein pour faire subsister leur famille. C’est à ceux-là qu’il faut demander ce que valent les cultures transgéniques. Les gagnants ne seront pas ceux que l’on croit.

Actuellement, le Chili et le Pérou utilisent le lupin sous forme de biscuits pour l’alimentation…Le lupin est largement utilisé aussi en Australie et nous l’avons vu en Hongrie.

Le lupin a reçu, depuis longtemps, son brevet de non-toxicité. Lors du Congrès International du lupin en 1984, il a été confirmé que la graine  désamérisée pouvait se substituer à 100% au soja pour l’alimentation des ruminants, à 25% pour celle des volailles, et à 15% pour celle des porcs.

Hélas, nous avons pris beaucoup de retard dans cette voie et il faudrait rapidement mettre en culture entre 500.000 et 1 million d’hectares en France pour rejoindre rapidement nos marges de sécurité alimentaire. Nous verrons si le vent de panique actuel donnera naissance à des initiatives intelligentes et courageuses.

Ouvrage de référence :
Le Lupin : Histoire et utilisation de l’une des légumineuses les plus riches du monde en protéines. De Beltecky-Kovacs-Desbrosses.

LE LUPIN.
Histoire

et
utilisation
de l’une des légumineuses
les plus riches du monde
en
PROTEINES
De Beltecky-Kovacs-Desbrosses.

 

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